À l’occasion de la sortie en novembre 2023 de la version remastérisée des Harmonies Werckmeister, film de Béla Tarr et Ágnes Hranitzky adapté du roman de son ami László Krasznahorkai — La mélancolie de la résistance, traduit par Joëlle Dufeuilly –, voilà que je réexplorais le monde de l’écrivain hongrois, découvert un an plus tôt avec Le Dernier loup (une histoire d’interprétation…).
Ici, tout simplement, l’auteur élabore dans cet extrait d’entretien avec The White Review (revue culturelle britannique qui vient de faire la part belle à la traduction dans son dernier numéro — que de coïncidences!) un essai de définition de la traduction par rapport à l’œuvre originale.
On l’écoute.
The White Review : Quels sont selon vous les avantages, les désavantages et les dangers de la traduction?
László Krasznahorkai : Je ne dirai rien des avantages et désavantages, mais je parlerai des dangers puisqu’il n’y en a pas, tout bonnement. L’œuvre traduite, selon moi, n’est en aucun cas à assimiler à l’œuvre originale, faite dans une langue différente. Il n’y aurait pas de sens à cela. L’œuvre traduite est l’œuvre du traducteur, pas celle de l’auteur. Quant à l’œuvre de l’auteur, il s’agit de l’œuvre qui contient l’histoire telle qu’écrite dans sa langue originale. L’œuvre traduite est donc une nouvelle œuvre, réalisée dans la langue déployée par le traducteur ; une œuvre dont le traducteur est le compositeur, et qui ressemble – plus ou moins, comme se ressembleraient les membres d’une même famille – à l’œuvre originale. L’auteur ne fait qu’observer et lire : le texte lui sera familier, parfois extrêmement familier ; et quand il paraîtra bon, il sera ravi, et dans le cas contraire, il se mettra en colère. Cela ne m’est arrivé qu’une fois, avec la traduction allemande de Háború és háború (Guerre & Guerre), qui s’est avérée être une mauvaise traduction. Impossible presque à rectifier. Qui aurait voulu se charger de la refaire ? C’était une situation très compliquée. Mais hormis ce cas, il n’y a aucune des traductions de mes œuvres qui ne m’aient rempli d’émerveillement. J’ai de merveilleux traducteurs.
Georges Szirtes, « Entretien avec László Krasznahorkai », The White Review, septembre 2013. [Ma traduction]
Pour entendre l’auteur parler de la beauté (et de sa traductrice) (deux choses distinctes — je tiens à préciser!) , c’est ici : sur France culture.
Pour entendre (à l’écrit) sa traductrice, c’est par là : sur Diacritik et sur Litteraturehongroise.fr.
On pourra enfin méditer sur la traduction intersémiotique de ce roman à l’écran (voir Umberto Eco) : les longues phrases de l’écrivain auraient-elles le même effet que les longs plans-séquences d’Ágnes Hranitzky?